Le 10 janvier dernier, l’association Nous Toutes 36 a adressé une lettre ouverte à l’ensemble des candidats aux élections municipales du département (nous la publions en intégralité à la suite de cet article). Notre programme, « Châteauroux, commune du peuple », a été adopté par un vote clôturé le 26 janvier. Il contient des dispositions qui nous permettent de répondre précisément à l’adresse salutaire de cette association de défense des femmes victimes de violences sexuelles et sexistes. Nous publions cette réponse aujourd’hui, à la veille de la fête de l’association qui se déroulera le 2 février à partir de 14h à la salle Alexandre Dumas à Châteauroux. Nous invitons tous les castelroussins à participer à ce moment convivial et de soutien à ce collectif indispensable.
La lettre de Nous Toutes 36 commence par le chiffre de femmes mortes en 2019 sous les coups de leur conjoint ou ex. 150. Presque une tous les deux jours. Ce chiffre est là, terrible, pour nous rappeler que la domination masculine n’est pas une abstraction ou une lubie. C’est une réalité que vivent sans cesse de milliers de femmes humiliées, rabaissées, discriminées et violentées pour nulle autre raison que leur genre. Le mouvement féministe a permis ces dernières années une prise de conscience. Il a permis à beaucoup de femmes de relever la tête et de rejoindre le combat.
Maintenant, il faut aussi que les institutions agissent. À Châteauroux citoyen, nous voulons que la mairie soit l’alliée de l’émancipation des femmes. C’est le point 20 de notre programme. Pour l’écrire, nous nous sommes directement inspirés de ce que propose Nous Toutes. L’urgence c’est de mettre à l’abri les femmes victimes de violences. Les éloigner de leur bourreau et les armer pour se défendre. C’est le sens de la maison des femmes que nous voulons ouvrir si nous sommes majoritaires au conseil municipal après les élections des 15 et 22 mars prochains. L’idée est d’avoir un centre dans lequel les femmes puissent trouver une assistance médicale, sociale, psychologique, militante et juridique. Ce lieu doit être celui dont les femmes osent pousser la porte sans appréhension pour la manière dont elles seront reçues.
La mairie doit aussi garantir le logement d’urgence pour les femmes qui fuient leur foyer à cause de violences, si nécessaire avec leurs enfants. C’est pourquoi nous proposons aussi dans notre programme de constituer dans le parc social et dans le parc privé une réserve de logements pour y placer des femmes victimes de violences. D’ailleurs, nous proposons la même chose pour les jeunes gens LGBT en rupture familiale subie. Là encore, c’est possible et il faut le faire à la hauteur de ce que sont encore malheureusement les violences conjugales.
En matière de sexisme, il faut que la honte change de camps. Nous ne serons pas du côté des bourreaux. La mairie de Châteauroux se portera partie civile de toutes les plaintes pour des délits à caractère sexiste si nous remportons l’élection. Nous créerons par ailleurs un point d’accueil et d’aide juridique pour les personnes discriminées.
Enfin, pour faire diminuer les violences contre les femmes, c’est toute une culture machiste qui doit changer. Cela suppose par exemple de permettre aux femmes de vivre comme les hommes leur carrière professionnelle. Souvent, celle-ci est sacrifiée lorsqu’une femme a des enfants. C’est pourquoi nous proposons l’élaboration d’un plan petite enfance avec des solutions de garde pour tous les parents, y compris pour les mères ayant des horaires atypiques, travaillant tard le soir, la nuit ou tôt le matin.
Nous y parviendrons aussi par l’éducation. Celle des plus jeunes : c’est l’objet du festival annuel contre les discriminations que nous proposons avec des concerts, des ateliers, des intervenants spécialistes. Mais celle aussi des agents, et notamment des agents de la police. Nous rendrons obligatoire une formation à la prise en charge des victimes de violences sexistes pour la police municipale.
La lettre ouverte de Nous Toutes 36 :
LETTRE OUVERTE AUX ELU.E.S ET AUX CANDIDAT.E.S
150!. C’est donc sur ce chiffre terrible que se termine l’année 2019. 150.Féminicides, 150 femmes battues à mort, abattues, poignardées, défenestrées, étranglées, étouffées, écrasées, immolées… souvent sous les yeux de leurs enfants, parfois avec eux, ou enceintes. Aucune de ces femmes ne voulait mourir, aucune n’aura rien cherché, rien provoqué. Non ! il ne s’agit pas de « drame familial » ou « d’alcoolisation ». Si tous les deux jours une femme tombe c’est parce qu’un homme frappe. C’est parce qu’un homme va décider pour elle quand et comment elle va mourir, comme il décidait de quand et comment elle devait vivre. Il va tuer parce qu’elle lui échappe, ou simplement pour conclure le cycle de terreur qu’il avait instauré. Il va tuer, comme on casse un jouet. Comment faut-il le dire ? La violence conjugale n’est pas un conflit de couple, c’est un processus, qui vise à prendre le contrôle de l’autre par l’humiliation, puis la peur, puis la terreur, puis la force, et, lorsqu’elle ne suffira plus, par la destruction finale psychique et physique ; l’issue fatale est inhérente au processus lui-même, elle est évitée lorsque quelque chose ou quelqu’un vient l’arrêter. Et le plus souvent, c’est la victime elle-même, qui trouvera la force de se sortir de là, exposée, au moment de la rupture, à un risque accru de représailles fatales.
La permanence de ce phénomène de société, malgré l’arsenal juridique existant, ne peut s’expliquer que par une forme d’intégration collective des ressorts du patriarcat. On invoquera la testostérone pour tolérer les violences de genre et les viols, et « l’émotivité » pour mettre systématiquement en doute la parole des femmes. Lorsqu’il tue, le patriarcat s’appuie aussi sur un fidèle complice : une vision fusionnelle de l’amour, héritée de mythes ou de religions ; elle valorise la jalousie, qui fonde la possessivité, laquelle finalement justifiera le crime. Rappelons-le avec force : il n’y pas de crime passionnel, il n’y a que des crimes possessionnels.
De ce terrorisme patriarcal, les pouvoirs publics ont normalement vocation à déjouer les pièges, prévenir les fonctionnements, sanctionner les abus. Force est de constater que l’Etat n’y parvient pas, et que les mesures annoncées dans le cadre du Grenelle seront loin de suffire à répondre aux besoins. Ça, c’est dit. Et maintenant ? Est-ce que chacun continue à rejeter sur l’autre la responsabilité de la situation, ou bien décide-t-on d’agir, au nom du principe de subsidiarité, au plus près des publics concernés, pour lancer une véritable dynamique ? Nous toutes, comme son nom l’indique, se veut rassembleur. La grande marche du 23 novembre dernier l’a démontré, la diversité et la jeunesse des manifestants a marqué les esprits. Notre marche de Châteauroux n’a pas échappé à ces caractéristiques, et nous nous en félicitons.
Dans l’Indre, les comités « nous toutes » de Le Blanc et de Châteauroux se sont constitués en association « nous toutes 36 » en Avril 2019 avec une double conviction : la communication ne peut pas exclure l’engagement direct auprès des victimes et, surtout, la solidarité soigne, et évite la sur victimation… Encore faut-il pouvoir la mettre en œuvre. Or, notre action en direction des victimes nous a permis de constater que les dispositifs d’hébergement existant n’étaient adaptés ni au besoin
de sécurité des femmes, ni à une réflexion pertinente sur leur situation, ni à la création d’un collectif soutenant. La mise à l’abri à l’hôtel, mal sécurisé, sans accompagnement social et sans possibilité de restauration épuise l’énergie des femmes sur des questions d’intendance. Isolées, elles restent sous emprise mentale, et pour échapper à l’hôtel, elle peuvent précipiter un relogement non pertinent qui devra être renouvelé quelques semaines plus tard. Après la phase hôtel, les plus « chanceuses » pourront avoir accès à un des appartements disséminés dans Châteauroux, dont la seule sécurité réside dans la discrétion de l’adresse…
L’association « nous toutes 36 » appelle donc l’Etat et les collectivités locales à s’engager dans la mise en place d’un dispositif adapté, coordonné à Châteauroux, couvrant l’ensemble du département et comprenant :
Un centre d’hébergement
– ouvert 7j/7 et 24/24, sécurisé, équipé du nécessaire à la préparation et la prise de repas collectifs, et propice à la convivialité.
– à proximité du centre-ville, non stigmatisé socialement, et de libre accès pour les résidentes,
– intégrant services documentaires, juridiques, et psychologiques pour les femmes et les enfants, et une micro crèche ou service de baby-sitting, afin de libérer les mères pour mettre en œuvre leurs démarches.
– Coordonnant l’action des professionnels, en évitant les déperditions d’énergie et de temps,
– Donnant une place au bénévolat / volontariat pour soutenir la sororité et lutter contre l’isolement.
– Impliquant les résidentes dans la gestion de l’établissement
– Offrant des espaces et des temps d’échange pour renforcer la solidarité.
– Mixant éventuellement des public, en maintenant des espaces dédiés aux victimes de violences. On notera par exemple que l’Indre ne dispose pas de « refuge » pour les jeunes exclus de leur famille pour leur orientation sexuelle ou choix de genre.
Des relais dans les chefs-lieux de canton
– Mettant à disposition deux ou trois appartements pour les femmes de zones rurales lorsque la scolarisation des enfants ne permet pas un départ à Châteauroux. D’anciens logements de caserne de gendarmerie, ou des logements de fonction non utilisés par les professeurs des écoles ou les personnels des collèges sont par exemple à cibler.
– Relayant l’action des professionnels par une personne formée, agissant dans un lieu neutre non identifié comme accueil de victimes, afin de préparer un départ.
Les collectivités locales ont également compétences pour l’action éducative extra-scolaire, et la gestion des crèches. Autant de lieux dans lesquels des actions de prévention des violences sexistes peuvent être mises en œuvre, de façon systématique. C’est là une clé essentielle à une évolution positive et durable.
Ce que cela coûte ? La question est indécente lorsque l’on parle de vies humaines. Et, de plus, la question est absurde, on se doit de l’inverser : une évaluation en 2006(1) avait déjà conclu que les violences conjugales coûtent à la France 2,5 Milliards d’euros par an, rien qu’en terme de santé publique, auxquels il faut ajouter près de deux milliards de traitement judiciaire ! Ce que demande les associations pour impacter durablement ce phénomène de société, c’est le quart de cette somme… alors commençons, ici, et maintenant.
Certains sont déjà emparés du sujet et agissent. Nous remercions les élu.e.s de Le Blanc et de Châteauroux, pour l’intérêt porté à nos propositions et les actions commencées ; nous remercions également « Argenton pour l’humain d’abord » « Châteauroux citoyen » et « Châteauroux écologique et sociale », pour l’intégration de la lutte contre les violences faites aux femmes dans leur programme en lien avec nos échanges, ainsi que « Châteauroux demain » pour sa participation à la marche du 23 novembre. Nous toutes 36 offrira son expertise, et l’engagement de ses bénévoles actives, à toutes celles et tous ceux qui s’engageront dans la mise en œuvre des propositions ci-dessus… ou d’autres.
A bientot
NOUS TOUTES 36
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